Commentaire de l’arrêt rendu le 16 octobre 2014 par la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, 8ème Chambre C, minute n° 2014/508, RG n° 12/01748

par Jules CONCAS, Avocat

 

C’est à partir de 2009 que les différentes juridictions de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur ont vu naître un contentieux d’ampleur relatif à l’acquisition d’installations de production d’électricité solaire photovoltaïque en raison des agissements de plusieurs sociétés commerciales (allant pour certaines jusqu’à la condamnation pénale de leurs dirigeants), le tout au grand dam de nombreux propriétaires malchanceux.

Le principe était simple.

Une société commerciale spécialisée dans la pose de panneaux solaires démarchait des particuliers directement à leur domicile en leur proposant l’acquisition d’une installation de production d’électricité solaire photovoltaïque destinée à la revente à ERDF, laquelle était financée par un crédit consenti par un important groupe bancaire, pour un montant total avoisinant les 28.000 €.

L’intermédiaire travaillant pour la société de pose faisait alors régulariser, le même jour, à ses clients deux documents contractuels :

– un bon de commande (le contrat de vente)

– une offre préalable de crédit (le contrat de financement)

Il était alors indiqué au client une date prévisible de commencement et de fin des travaux.

À la date prévue, la société se rendait effectivement au domicile des emprunteurs avec l’ensemble du matériel et leur faisait signer un document intitulé « ATTESTATION DE LIVRAISON – DEMANDE DE FINANCEMENT » mentionnant une formule pré-imprimée selon laquelle « le bien ou la prestation, objet de l’offre préalable référencée ci-dessus , a été livré ou exécuté, conformément aux références portées sur l’offre préalable, sur le bon de commande et/ou la facture« .

Le matériel ayant été effectivement livré, les clients signaient en toute confiance ladite attestation…mais ne prenaient bien souvent pas le temps de lire la mention inscrite à la fin :

« Je demande, en conséquence, que (l’établissement bancaire) procède au décaissement du crédit, après expiration des délais convenus »

La société de pose transmettait alors immédiatement ce document au prêteur qui décaissait la totalité des fonds…directement entre les mains de celle-ci.

Une fois les fonds encaissés par le prestataire, celui-ci abandonnait aussitôt le chantier et laissait ses clients avec une installation à moitié terminée et une banque commençant à prélever les mensualités de remboursement du crédit !

Quelques mois plus tard, la société de pose s’est placée en liquidation judiciaire.

Bien évidemment, tous les emprunteurs ont refusé de payer pour quelque chose qu’ils n’avaient pas et ont tous été cités à comparaître pardevant le Tribunal de Grande Instance de leur domicile par l’établissement prêteur, aux fins de condamnation au paiement du crédit, lequel avait élaboré un argumentaire implacable.

Dans un premier temps, la banque indiquait que le crédit consenti est un crédit de droit commun n’entrant pas dans le champ d’application protecteur des dispositions du Code de la consommation, en raison de son montant, supérieur à 21.500 € (cette limite était fixée par l’article D311-1 (ancien) du Code de la Consommation, alors en vigueur).

Elle en déduisait que le contrat de financement était un contrat indépendant du contrat de vente et qu’on ne pouvait lui opposer les manquements de la société de pose pour refuser de rembourser le prêt.

Les plaideurs ont immédiatement fait usage d’une multitude d’argumentations juridiques qui ont pu être soumises à la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE qui a élaboré plusieurs solutions divergentes.

Si certaines décisions étaient plus ou moins favorables aux emprunteurs, ce n’était bien souvent pas le cas.

Les défendeurs se retrouvaient alors dans une situation dramatique, à savoir qu’était prononcé à leur encontre une condamnation à rembourser une somme de plus de 28.000 €…tout en ayant une installation dont il était établi qu’elle ne fonctionnait pas.

C’est ainsi que, par un arrêt en date du 10 avril 2014, la 8ème Chambre C de la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE a confirmé en toutes ses dispositions un jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE du 27 novembre 2012 condamnant des époux emprunteurs à rembourser la totalité du montant du crédit, alors que l’installation n’avait en l’espèce…même pas eu lieu.

La Cour d’Appel, en raison du montant du crédit (supérieur à 21.500 €), a exclu l’application des dispositions du Code de la Consommation et ainsi tout principe d’interdépendance entre le contrat de vente et le contrat de financement en indiquant que « le fait que le crédit soit affecté au financement d’une opération donnée et soit accessoire à une vente, n’a pas pour effet de subordonner son sort à celui du contrat de vente, la cause de l’obligation des emprunteurs résidant, en toute hypothèse, dans la mise à leur disposition des fonds nécessaires à l’acquisition effectuée ».

Toujours selon la Cour, « seules valent donc les dispositions contractuelles qui lient les époux X au (prêteur) parmi lesquelles celle relative à la mise à disposition des fonds ».

Après analyse du fameux bon de commande signé par les emprunteurs le jour de la livraison, la Cour a estimé que l’établissement bancaire « n’avait commis aucune faute en débloquant les fonds au vu de l’attestation de livraison du bien » (Cour d’appel Aix-en-Provence, 8ème Chambre C, 10 Avril 2014, minute n° 2014/ 244, numéro de rôle : 13/00044).

 

C’est juste après le prononcé de cette décision qu’était fixée à plaider l’affaire pour laquelle notre cabinet intervenait en défense d’un couple d’emprunteurs, devant la même chambre.

Seulement six mois après l’arrêt du 10 avril 2014, il fallait alors convaincre la Cour d’Appel de changer sa solution.

Notre objectif était triple :

– faire entrer le contrat de financement dans les dispositions protectrices du Code de la consommation (1°)

– obtenir la nullité du contrat de financement (2°)

– obtenir des dommages-intérêts de nature à compenser les sommes dues par les époux emprunteurs (3°)

Par un arrêt en date du 16 octobre 2014, la 8ème Chambre C de la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE est revenue sur sa jurisprudence récente.

 

1°) Le crédit de financement consenti par l’établissement bancaire est soumis à la réglementation protectrice des consommateurs, relative aux prêts immobiliers, en vertu des articles L312-2 et L312-19 du Code de la Consommation

Il est exact que le crédit litigieux étant supérieur à la somme de 21.500 €, il se retrouve exclu du champ d’application des articles L311-3 et L311-20 du Code de la Consommation relatifs à l’interdépendance du contrat de vente et du contrat de financement.

Or, si l’article L311-3 du Code de la Consommation n’est pas applicable, le contrat conclu entre les époux emprunteurs et l’établissement bancaire ne sort pas pour autant du champ d’application des dispositions du Code de la Consommation !

Il convient de rappeler que la société de pose s’est engagée à fournir des panneaux voltaïques, à les poser en toiture et à les raccorder au réseau ERDF de telle sorte que ses clients puissent vendre de l’électricité à EDF.

Les panneaux sont ainsi intégrés à la toiture. Cette intégration implique une dépose d’une partie de la toiture, c’est-à-dire des tuiles et/ou des plaques sous tuiles, de telle sorte qu’une fois posés, les panneaux photovoltaïques ont un rôle d’étanchéité de la toiture.

Ces travaux s’analysent ainsi en travaux de construction au sens des dispositions de l’article 1792 du Code Civil, s’agissant d’une installation intégrée assurant le clos, le couvert et l’étanchéité.

Ce prêt doit être soumis à la réglementation protectrice des consommateurs, des prêts immobiliers, en vertu des articles L312-2 et L312-19 du Code de la Consommation.

La Cour a validé cette argumentation :

« En l’espèce, le montant du prêt était supérieur à la somme de 21 500 € et le crédit était destiné à financer la vente et l’installation en toiture de panneaux photovoltaïques permettant aux propriétaires d’un immeuble à usage d’habitation d’améliorer leur bien par la production d’électricité même si elle devait être vendue à un fournisseur d’énergie. Le prêt était donc bien destiné à financer l’amélioration de l’immeuble au sens du texte précité, d’autant que l’installation des panneaux photovoltaïques nécessitait la dépose des tuiles, l’étanchéification du toit ainsi qu’un permis de construire modificatif et des raccordements complexes comme il a déjà été dit »

 

2°) l’offre de prêt viole les dispositions de l’article L312-10 du Code de la Consommation : la nullité du contrat de financement

En faisant juger que le contrat de financement doit être analysé en un prêt immobilier, celui-ci se retrouve alors soumis aux dispositions de l’article L312-10 du Code de la Consommation, à savoir que :

« L’offre est soumise à l’acceptation de l’emprunteur et des cautions, personnes physiques, déclarées. L’emprunteur et les cautions ne peuvent accepter l’offre que dix jours après qu’ils l’ont reçue. L’acceptation doit être donnée par lettre, le cachet de la poste faisant foi »

Or, rappelons-nous que l’offre préalable de crédit était présentée aux emprunteurs à leur domicile concomitamment au contrat de vente et était acceptée…le même jour !

L’offre de prêt violait ainsi les dispositions de l’article L312-10 du Code de la Consommation.

La Cour a là encore validé les conséquences juridiques de cette violation :

« Les époux X exposent que l’offre de crédit leur a été présentée le 15 juillet 2008 et qu’ils l’ont acceptée le jour même. Ce point, qui n’est pas contesté, commande l’annulation du contrat du crédit à raison de la violation des dispositions précitées et ainsi la restitution par les emprunteurs du capital de 28 600 € augmenté des intérêts au taux légal »

 

3°) Sur les conséquences financières de la nullité : la nécessaire condamnation de l’établissement prêteur à payer aux époux emprunteurs des dommages-intérêts

La nullité du contrat impliquant la remise en état des parties, les époux emprunteurs ont nécessairement été condamnés à rembourser la somme empruntée à la banque (augmentée des intérêts au taux légal et non conventionnel).

Il fallait donc impérativement obtenir la condamnation de la banque à payer aux emprunteurs des dommages-intérêts de nature à compenser la première condamnation.

À ce titre, il est non contestable que l’absence d’émission d’une offre de prêt immobilier correcte a fait obstacle à l’application des dispositions des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation justifiant l’octroi de dommages-intérêts.

Cette solution de l’octroi de dommages-intérêts venant en compensation avec les sommes dues par les emprunteurs a d’ailleurs été récemment validée par la Première Chambre Civile de la Cour de cassation :

« Mais attendu qu’ayant retenu, par motifs adoptés, que l’absence d’émission d’une offre de prêt immobilier avait fait obstacle aux dispositions plus protectrices des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation, notamment celles relatives à la formation du contrat et au délai de réflexion de dix jours prévu à l’article L. 312-10, la cour d’appel a caractérisé le préjudice subi par les emprunteurs ; » (Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, 30 avril 2014 ; n° 13-15.581 ; ECLI:FR:CCASS:2014:C100491)

C’est dans ces conditions que la 8ème Chambre C de la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE a estimé que :

« Il est certain que l’absence de respect du délai de 10 jours prévu à l’article précité a causé un préjudice aux emprunteurs en leur faisant perdre une chance de ne pas contracter.

Il est établi que l’installation n’a pas été raccordée au réseau ERDF et qu’elle est dangereuse, qu’un rapport privé fait état d’une possibilité de mise en conformité pour un montant de 2 154 € mais se trouve contesté par les époux X et n’a pas été repris par l’expert judiciaire ni dans sa discussion ni dans ses conclusions.

 En conséquence, il convient de fixer le montant du préjudice subi par les emprunteurs à la somme de 22 000 € et d’ordonner la compensation des sommes allouées à titre de dommages et intérêts et de restitution du capital versé ».

Dans un litige tout à fait similaire, mettant en scène le même installateur, le même établissement bancaire et jugé par la même chambre, nous avons ainsi obtenu seulement six mois après la décision rendue le 10 avril 2014, une solution bien plus favorable aux consommateurs.

Pour mémoire, la 3ème Chambre A de la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE avait, le 13 décembre 2012, octroyé une somme globale de 20.000 € aux emprunteurs à titre de dommages-intérêts.

L’arrêt du 16 octobre 2014 est ainsi celui ayant octroyé la plus grosse somme à titre de dommages-intérêts dans ce contentieux.

 


 

Après la signification à partie de l’arrêt, l’établissement bancaire avait inscrit un pourvoi en cassation qu’il vient de retirer la semaine dernière, raison pour laquelle cet article ne paraît qu’aujourd’hui.

D’ailleurs et depuis le mois d’octobre 2014, la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE a été amenée à statuer à nouveau sur le même contentieux à plusieurs reprises et a parfois donné raison…à l’établissement bancaire.

note : par un arrêt du 18 novembre 2014, la 1ère Chambre A a condamné des époux emprunteurs à verser à l’établissement bancaire à titre de remboursement du prêt la somme de 23 000€, augmentée des intérêts au taux de 6,48 % par an et a rejeté leur demande de dommages et intérêts… (Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 1re chambre A, 18 Novembre 2014, Numéro de rôle : 13/11709).

Jules CONCAS

 Pour aller plus loin :

– Cour d’appel Aix-en-Provence, 3ème Chambre B, Arrêt du 22 mars 2012 – minute n° 2012/169, RG n° 11/03396
– Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, Arrêt du 11 décembre 2013, n° 12-23.133,1456
– Cour d’appel Aix-en-Provence, 3ème Chambre A, Arrêt du 13 décembre 2012 – minute n° 2012/563, RG n° 11/19131
– Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, 30 avril 2014 ; n° 13-15.581
– Cour d’appel Aix-en-Provence, 8ème Chambre C, Arrêt du 10 avril 2014, minute n° 2014/244 – RG n° 13/00044
– Cour d’appel de Montpellier, 1ère Chambre – Section B, Arrêt du 21 mars 2012 – RG n° 10/07272
 

 

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